Un triptyque pour l’Europe : la vision présidentielle française de l’Union européenne

Le discours prononcé par le Président de la république le 26 septembre 2017 dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne était attendu. Il n’a pas déçu. Les commentateurs avisés ont pu, et à raison, souligner le retour de la France sur la scène européenne depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Après le positionnement marqué de notre pays avec une implication tout aussi (re)marquée du Chef de l’État sur la question des travailleurs détachés durant l’été 2017, une hauteur de vue semblait nécessaire afin d’affiner la vision française de l’Union européenne et de sa relance décidément éternelle…

Le discours du Président de la République à Pnyx, célèbre colline dominant l’antique agora d’Athènes, le 7 septembre 2017 avait déjà été remarqué tant l’engagement sur les grands dossiers européens renouait — enfin — avec ce volontarisme français bien délaissé depuis au moins le dernier quinquennat. Le discours du 27 septembre dernier s’inscrit évidemment dans cette trajectoire à la différence peut-être qu’il est davantage structuré sur la forme et le fond. Pour autant, cette vision de la « refondation » de l’Union que propose le Chef de l’État n’est pas sans étonner, sans surprendre même tant il semble manier les paradoxes où, pour le moins, donner à voir une Union européenne bien différente de l’état dans lequel elle se trouve sans doute.

Ce discours du président de la République, en premier lieu, est décidément très — doit-on oser dire « trop » — français. Volontariste d’abord, ce qui est un grand classique de l’action européenne et internationale de la France, en ce qu’il consiste à défendre l’idée que vouloir c’est pouvoir, que la volonté politique suffit à modifier le cours des choses. Peut-on encore le croire dans le cadre de l’Union ? Le plus frappant surtout et ensuite reste ce triptyque bien audacieux que propose E. Macron : une Europe souveraine, unie, démocratique. Pouvons nous penser l’Europe autrement que comme une projection de notre sainte trinité républicaine ? Ce triptyque, pensons-nous, en dit long sur notre manière de penser l’Union, de la réduire à trois axes constitutifs qui se combinent habilement mais qui dans le même temps ne sont pas exempts de tout reproche.

Une Europe souveraine d’abord. La synthèse du discours présidentiel présente les six clés de cette souveraineté européenne (la sécurité, le défi migratoire,  une Europe tournée vers l’Afrique…, une Europe puissance économique et monétaire). Il n’est pas utile de positionner le sujet sur le plan strictement juridique, même si l’exercice est tentant, pour démontrer que cette affirmation de souveraineté qui serait l’apanage de l’Union n’est pas recevable. Cela dit, nous voyons bien ce que recouvre ladite souveraineté : la puissance économique, notamment, et la protection.

Une Europe unie ensuite construite autour d’une solidarité concrète — réminiscence schumanienne évidente —, d’une culture et d’un savoir commun constituant le « ciment » de notre union nécessaire à ce sentiment d’appartenance à une même Europe qui pourrait passer par des universités européennes porteuse d’avenir pour la jeunesse. Ce ciment européen n’est-il pas une forme atavique de notre vision de l’unité nationale, très Troisième République ici, en ce que l’éducation constituerait la « fabrique » de cette unité ?

Une Europe renforcée sur le plan démocratique enfin par le recours à des listes transnationales pour les élections européenne et l’organisation de débats citoyens nationaux et locaux dans les États membres désireux d’organiser des « conventions démocratiques ».

Ce plan de bataille détaillé par le Chef de l’État en second lieu ne résiste pourtant pas pas selon nous à certaines critiques.

Pour commencer, en dépit d’une argumentation exprimée de manière passionnée, ce discours à bien y regarder reste relativement pauvre sur le fond. Les propositions formulées, réductibles à quelques lignes en définitive, n’ont rien de novatrices. Nous ne voyons pas de propositions nouvelles, de fond, « revigorantes », restructurantes pour le projet européen. Les anciennes recettes et autres antiennes sont ainsi mobilisées mais avec des « habits neufs ».

Ensuite, sur un plan purement juridique, nous l’avons déjà dit, on reprochera sans doute au Président de la République de faire un usage discutable de la notion de souveraineté ici plaquée à l’Union européenne. Cette « déjuridicisation » du concept, on l’aura compris, est au service d’un argument purement politique fondé sur l’idée de puissance économique et de protection de l’Union. Les juristes donc n’y trouveront pas leur compte sur le plan théorique et si l’intention du Chef de l’État était de donner confiance aux citoyens en l’Union il est à craindre que certains verront dans cette affirmation de souveraineté de l’Union une preuve de plus de l’affaiblissement de nos États.

Enfin, et ce n’est pas le moindre des paradoxes de ce discours qui relève d’une forme d’autosuggestion consciente — autre figure du volontarisme français — et qui vise surtout à décrire ou « rêver » une Union européenne qui actuellement ne semble répondre à aucune des propositions du triptyque annoncé. Où est en en effet cette union ou cette unité dans le contexte du Brexit qui semble vouloir donner des idées à la Hongrie, la Pologne, l’Autriche et qui sait la France ? Où en est la démocratie et l’État de droit dans un contexte de grande défiance populaire — et pas uniquement en France —, d’activation de l’article 7 TUE à l’encontre de la Pologne… Que dire encore de cette souveraineté européenne à la fois concurrencée par les « Émergents » sur le plan économique et soumise à des flux migratoires terriblement compliqués à canaliser et dramatiques pour les personnes et familles concernées ?

Cet optimisme présidentiel formalisé dans ce discours de septembre doit être mis en perspective avec le récent article de Paul Magnette publié dans la presse Belge dont la lecture nous plonge dans un pessimisme tel, qu’il nous semble que c’est le réalisme et la lucidité et non ce volontarisme « triptytisé » qui doit présider à la relance de l’Union européenne.

Pierre-Yves Monjal

Vice-président de la Maison de l’Europe

Professeur de droit public

Chaire Jean-Monnet 

Université de Tours