La double nationalité, au-delà des idées reçues

Combien y-a-t-il de binationaux en France ? Et en Europe ? Ce sont des questions simples auxquelles malheureusement il n’existe aucune réponse précise.

Selon certaines estimations, plus de 5 millions de français habitant en France auraient au moins une autre nationalité. À cela il faudrait ajouter des millions de français binationaux à travers le monde. Malheureusement, à ce jour, il n’y aurait aucune statistique ou estimation du nombre de binationaux en Europe. Pourtant une chose est sûre, leur nombre augmente. Depuis l’entrée en vigueur de l’espace Schengen en 1995, de nombreux citoyens de l’Union se sont déplacés pour vivre ou travailler dans les différents pays européens. Du fait de leur vie à l’étranger, certains se sont mariés et ont eu des enfants. Comment vit-on avec une double nationalité et quels en sont les enjeux ?

Une histoire juridique compliquée

Les questions que suscite la double nationalité remontent à bien avant l’ouverture de l’espace Schengen. Vers le XIX ème siècle des phénomènes migratoires importants ont commencé à se manifester en Europe et dans le monde. Jusqu’alors, la citoyenneté était considérée comme unique et l’on ne pouvait y renoncer sans l’aval de son gouvernement.

Bien qu’au cours des décennies la position des États ait évolué, parler de double nationalité relève de l’anachronisme. Le consensus international s’orientait en effet vers l’élimination de la bi-nationalité, perçue comme une source de confusion et de complication inutile entre les Etats. La République Française n’a de son côté jamais réellement suivi ce concept. Dès le début du XX ème siècle, de nombreux immigrants ont été naturalisés français. Leurs enfants, nés sur le sol français, pouvaient une fois majeurs réclamer leur nationalité française. Au cours du siècle, les inégalités hommes-femmes sont progressivement abolies puisque dès 1927, les femmes épousant un étranger sont autorisées à garder leur nationalité, puis à partir de 1973 les femmes françaises vivant à l’étranger on pu transmettre leur nationalité à leurs enfants.

La position de la France est cependant assez surprenante si l’on considère qu’elle fait parti des signataires de la « Convention sur la réduction des cas de pluralité de nationalités et sur les obligations militaires en cas de pluralité de nationalités » de 1963. Comme son nom l’indique, l’accord servait à encadrer et à réduire autant que possible le nombre de binationaux y compris parmi les mineurs. Toutefois la convention ne fut jamais suivie à la lettre et a été depuis dénoncée par plusieurs pays, dont la France. Malgré cela de nombreux pays européens continuent à ne pas autoriser les multiples nationalités. Par exemple, pour un citoyen allemand né de parents allemands, l’obtention d’une seconde nationalité extra-européenne comporte la perte du premier passeport.

Qu’implique la double nationalité ?

Posséder une double nationalité est aujourd’hui perçu comme un avantage et peu de citoyens décident spontanément de renoncer à l’une de leurs nationalités. Si l’Union Européenne et l’espace Schengen ont permis de grandement simplifier la vie des ressortissants européens, de nombreux avantages subsistent pour les binationaux. Le plus évident concerne le droit de vote passif ou actif : voter ou se faire élire. Il est également impossible pour un étranger de postuler à certains postes dans la fonction publique et le secteur privé. Néanmoins, pour promouvoir une meilleure intégration européenne ne serait-il pas souhaitable que la citoyenneté européenne prévale sur la simple nationalité ? Que l’on puisse de cette façon accroître la mobilité à l’intérieur de l’Union et encourager l’idée d’une nationalité européenne ?

La question de double nationalité est loin de n’être qu’une question juridique et de droit du travail. Pour certains, la bi-nationalité peut être « juste » posséder deux passeports et pouvoir voter dans deux pays différents. Cependant c’est également posséder plusieurs cultures, parler plusieurs langues, et se sentir chez soi dans plusieurs pays. La bi-nationalité peut être acquise à la naissance ou faire partie d’une démarche volontaire. Cet état apportera une autre perception sur sa propre identité et le poids de la nationalité. L’identité d’une personne se base souvent sur sa nationalité. Le processus est plus complexe pour un binational. Il peut en effet être parfois difficile de s’affirmer en tant qu’individu quand le contexte ou ceux qui nous entoure continuent à pointer du doigt « l’autre » nationalité, « l’autre » culture, « l’autre » langue. Cela peut donc pousser certains binationaux à rejeter la nationalité du pays où ils habitent, ou du pays d’origine. Ce problème existe notamment en France. Dans ces cas, la double nationalité est souvent remise en cause et pointée du doigt, mais c’est se tromper de problème. Ce qu’il faudrait alors repenser c’est la politique d’intégration française et non la nationalité.

Citoyens binationaux, citoyens européens ?

La double ou multiple nationalité ne serait-elle pas importante pour une plus grande intégration et la création d’une nationalité européenne ? Elle serait difficilement la solution face à l’euroscepticisme et aux autres problèmes que rencontre l’Union. En outre, il est probable que les binationaux restent encore pendant de longues années une minorité parmi les autres citoyens du continent. Malgré tout, les échanges, les voyages et les binationaux continueront à tisser des liens et à créer des ponts entre les différents pays. L’Union Européenne est née pour permettre à l’Europe de vivre en paix et de mettre fin aux guerres qui ont ravagé notre continent pendant plus de deux milles ans. Une partie de la solution pour une plus grande intégration peut et doit passer par là.

François Desimone, volontaire en SVE